La siasse
Encore un terme absent du dictionnaire, mais pas de la mémoire des Brettois (Brettes, commune charentaise du canton de Villefagnan). Ne surtout pas associer à ce mot une situation critique. Non, la siasse c'est autre chose, c'est brettois tout simplement.
Il faut expliquer que les maréchaux-ferrants coupaient la queue des juments (caudectomie) pour l'hygiène et faciliter l'acte... puis la naissance des poulains ; on coupait également celle des chevaux quand on n'aimait pas se prendre des coups de queue. On dit un cheval écourté, une jument écourtée. (2)
La queue du cheval est, comme sa crinière, composée de crins. Elle lui sert à exprimer ses émotions et à chasser les insectes. Attention, depuis le 1er janvier 1996, la coupe de la queue est interdite sur les chevaux nés en France.
"Belle réserve de siasses sur cet étalon poitevin" n'est-ce-pas M. Bernard ?
Enfant, Alain Damy «donnait la main» à son père qui pratiquait souvent cette «opération» terrifiante. L'animal était «anesthésié» par l'action d'un tord-nez qui lui serrait la babine.
Le tord-nez (cordelette tendue autour de la babine grâce à un manche de bois.
«Je maintenais le tord-nez serré en tournant le manche, relate le cow-boy brettois, la queue de l'animal était attachée à une ficelle et maintenue haute par le propriétaire, mon père se saisissait de son coupe-queue et visait la jointure entre le 2e et 3e os. Et crac.
Un jet de sang puissant inondait les curieux qui se tenaient trop près. Mon père sautait alors sur son brûle-queue (fer à cautériser), un gros anneau porté au rouge très vif sur la forge pour l'appliquer sur la plaie, autour de l'os. Ce chirurgien rural cautérisait ainsi la plaie dans la fumée qui puait le poil et la viande grillés. Surpris par la douleur, l'animal ruait, je serrais encore plus le tord-nez. Gare à moi s'il s'était défait... Un peu de grésil sur la chair brulée et l'opération était terminée.»
Et la siasse ?
Toutes ces queues de cheval finissaient alignées en trophée dans l'atelier. Certaines servaient à «émoucher» (1) les chevaux et les bœufs pendant le ferrage. Avec les meilleurs poils, les plus longs que l'on tressait, on faisait un fil très solide. «A un bout on faisait un noeud coulant.» Et voilà, la siasse était prête à... faire feu ! Enfin, à piéger les moineaux à l'entrée des trous de «chafaud» (trous carrés ou se logeait les supports horizontaux des échafaudages).
Chez Gallais, René fabriquait ses siasses en arrachant un poil à la queue du cheval. Avec, il piégeait les pinsons et les alouettes. «En vain» dit-il. Ces siasses étaient attachées à une ficelle. Il se souvient surtout des poules prises au piège ce qui provoquait la colère de sa mère... «De toutes façons, dit-il, pour le goût et satisfaire sa faim, mieux vaut manger une grive qu'un moineau.» Il conserve cet avis depuis déjà 65 ans.
(1) Egalement (encyclopédie XVIIIe siècle) : Couper la queue à un cheval, c'est couper une partie de ces nœuds, afin que la queue n'ait que huit ou dix pouces de long ; on coupe la queue à tous les chevaux de chasse & de course.
Ainsi on appelle les chevaux qui ont la queue coupée , des coureurs ou des courtes queues ; on appelle racine de la queue l'endroit où elle sort de la croupe, & le tronçon ou le quoart le reste des vertèbres jusqu'au bout.
(2) Emoucher, c'est chasser les mouches attirées par la sueur des animaux.
Couper la queue du cheval : la méthode (décrite en 1835)
" ... L'opérateur, s'il se sert de l'instrument appelé coupe-queue, en écarte les branches, engage la queue dans l'espèce d'échancrure semi-circulaire que présente la branche qui est en dessous, de manière à placer au niveau du couteau de l'autre branche le point de la queue où doit être pratiquée la section ; et aussitôt, rapprochant avec force l'une de l'autre les deux branches qui sont articulés à charnière par une de leurs extrémités, il opère la section en un seul temps. Si, comme il peut arriver, on n'avait pas de coupe-queue a sa disposition, l'opérateur place au-dessous d'elle à l'endroit où elle doit être amputée, et perpendiculairement a sa direction, le tranchant de la laine d'un boutoir de maréchal dont, il tient le manche dans sa main gauche, pendant qu'avec.un fort maillet de bois dont est armée sa main droite, il frappe sur sa partie supérieure au point où elle repose sur le boutoir, un coup assez fort pour en opérer la section ; un second coup est quelquefois nécessaire pour compléter l'opération. Outre l'inconvénient d'être moins facile et moins expéditive, cette méthode a encore celui d'occasionner une contusion qui n'est pas toujours sans suite fâcheuse, sur la partie de la queue que frappe le maillet.
Une autre méthode, qui n'a pas ce dernier désavantage, consiste dans l'emploi d'un bon couperet bien tranchant, d'un billot et d'un maillet..."
Cautériser la plaie après avoir coupé la queue (en 1835)
" ... Lorsqu'on veut arrêter l'hémorragie, l'opérateur, après avoir fait réentraver le cheval, saisit de la main gauche et à pleine main le tronçon de la queue qu'il redresse un peu pour bien découvrir la plaie, et, de la main droite, il applique sur cette plaie et y appuie fortement pendant huit ou dix secondes l'extrémité annulaire du cautère actuel connu sous le nom de brûle-queue. Ce cautère, qui a dû être chauffé à blanc, est appliqué sur la plaie, de manière que l'ouverture de l'anneau qu'il représente corresponde à la légère saillie que forment les os coccygiens au centre de cette plaie. Le plus souvent une seule application du cautère est suffisante. Mais on doit en faire une seconde si on s'aperçoit que l'escarre produite par la première est trop mince, et que quelques gouttelettes de sang s'échappent à travers. Là se borne l'opération, quand la queue doit rester en balai. On enlève le lien qui fixait les crins retroussés ; ceux-ci retombent autour du moignon qu'ils recouvrent ; on les peigne, et tout est terminé. L'escarre tombe seule au bout d'un temps variable, et la plaie qui en résulte se cicatrise sans exiger aucun soin particulier."
Attention : ces textes anciens ne sont là qu'à titre historique.
Caudectomie, coupe-queue : http://www.dinosoria.com/caudectomie.html
Un fer au feu surveillé par M.Ladrat.
Les pattes avant en premier lieu.
Pas beau le sabot !
Ca va s'arranger !
Un petit coup dans la corne, c'est sans douleur !
C'est en forgeant que l'on devient forgeron.
Impeccable !
Ca colle comme si c'était neuf !
Brr!!! Je tire la langue aux filles...
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Le fer à cheval porte-bonheur...
Le maréchal-ferrant dentiste
Antan, c’était souvent le forgeron du village qui s’occupait d’arracher les dents. Le forgeron se faisait dentiste. Certains forgeaient pour cela des petites pinces spéciales. « II s’asseyait, faisait asseoir le patient devant lui, par terre, lui tenait la tête solidement entre ses genoux et… »
Manipulateur de feu, capable d’alchimie, le forgeron conserve jusqu’au XXe siècle un mystère originel : on lui prête des talents de rebouteux, de dentiste… forgeron. A la fois
médecin, chirurgien, dentiste qui arrache les dents gâtées et vétérinaire…
« Il ne faudrait pas supposer cependant que, malgré son importance guerrière, les services du forgeron pour les besoins de l’agriculture et de l’industrie fussent méconnus. On le regardait, au contraire, comme le lien de la société, car on ne pouvait rien faire sans lui. Fallait-il des instruments pour la construction des magnifiques édifices gothiques, pour les arts pratiqués alors, ou même pour les humbles travaux de la ménagère, on avait recours à l’habileté du forgeron. Dans les localités écartées, il était parfois le seul artisan du canton, et il réunissait les professions les plus diverses : il fabriquait les outils, les instruments d’agriculture, il ferrait les chevaux, remplissait les fonctions de vétérinaire, de dentiste, de chirurgien ; il était encore le seul clerc de la paroisse, et le grand colporteur de nouvelles, car le forgeron était à la fois la langue et l’oeil du village. »
C’est ainsi que Shakspeare nous le représente dans le Roi Jean : « J’ai vu un forgeron
debout, un marteau à la main, oubliant son fer sur l’enclume pour écouter, bouche béante, les nouvelles que lui débitait un tailleur. »
« Les outils du forgeron étaient très simples, il avait un marteau, des pinces, un ciseau, des tenailles, une enclume, et l’on a lieu de s’étonner de la variété des objets qu’il façonnait avec ces grossiers instruments; il surpassait même de beaucoup l’ouvrier moderne pour la taillanderie et le ciselage, car c’était un artiste en même temps qu’un artisan. Les nombreux modèles, d’un travail admirable que nous fournissent les portes des châteaux et des églises gothiques, les balustrades des autels, sont encore aujourd’hui reproduits continuellement, et on ne peut ni les surpasser, ni même les égaler. Le forgeron était l’ouvrier le plus habile, et de plus, le seul ingénieur civil et militaire de l’époque. Quand il fallait construire une route, endiguer un fleuve, ou creuser une tranchée, on s’adressait à lui pour fournir les outils et surveiller les travaux.
Le forgeron étant le premier et le plus considéré des artisans, il est facile de comprendre que son nom soit devenu si commun dans toutes les contrées européennes, à une époque où les surnoms étaient en usage à défaut de noms patronymiques, réservés seulement aux nobles. »
C. Lestin a croqué « l’opération ».
« Au Village, opération délicate…
- Votre instrument est trop gros, vous allez me démancher la bouche !!…
- Soyez tranquille et sans crainte ! Je vais vous enlever ça le plus délicatement possible !!… »
Célestin Guérineau (1886-1917) était originaire de Loubillé (79), il a dessiné environ 200 cartes postales.