Les races poitevines : d'après textes anciens
A paris, Omer des Métairies (champion de France) et son propriétaire Sébastien Marciquet.
Race poitevine mulassière (en 1830)
Moins répandu et moins nombreuse que la race boulonnaise, la race poitevine mulassière ne laisse pas d’être encore fort considérable et de mériter l’attention des cultivateurs et de l’administration.
Au moins aussi volumineux que nos chevaux de la Picardie, de l’Artois, de la Haute Normandie, les poitevins ne les valent pas sous les rapports de formes et du tempérament. Leur charpente osseuse très développée les rapproche de la race flamande; leur croupe est plate, le flanc un peu long, les jambes sont garnies d'une énorme quantité de crins, les pieds plats et faibles. Si l'on ajoute à ces caractères que les yeux sont petits, et que la vue se perd souvent par suite des attaques de la fluxion périodique, on ne concevra pas d'abord ce qu'offre d'avantageux une race aussi mal construite et d'un tempérament qui indique autant de mollesse et de nonchalance.
Ce n'est pas d'une manière absolue, mais seulement d'une manière relative, que cette race doit être jugée ; considérée isolément elle devrait être changée, envisagée comme elle doit l’être dans ses rapports avec une industrie fort lucrative pour le Poitou et fort utile à beaucoup d'autres parties de notre pays, la production des mulets, elle doit être conservée à peu près telle qu'elle est, avec ses défauts qui deviennent des qualités.
Les cultivateurs ont reconnu qu'accouplée avec le baudet elle retenait plus sûrement que toute autre race, ce qui pourrait peut-être dépendre de son tempérament lymphatique. L'expérience leur a prouvé aussi que la mauvaise corne et la mauvaise vue ne se transmettaient pas aux mulets, mais que ceux-ci, considération fort importante, héritaient d'une taille et d'un développement qu'on ne peut obtenir de juments plus sveltes et plus énergiques.
Jeune trait poitevin à Villognon
Née dans les marais
La race poitevine a sa souche dans les marais de la Vendée et de la Charente-Inférieure, parmi lesquels on peut citer ceux de Luçon et de La Rochelle. Elle commence à s'élever presque complètement à l'état sauvage, dans des pâturages humides où elle demeure nuit et jour, en hiver comme en été, circonstances qui lui font acquérir un tempérament très mou; elle se multiplie aussi dans les établissements situés autour de Niort, de Melle, et dans plusieurs autres parties de la plaine du Poitou où l'on se livre à la production des mulets, mais la race n'en vient pas moins originairement des marais qui bordent la mer. Les poulains mâles quittent ces lieux humides dans un âge peu avancé; amenés dans le Berry et même la Beauce, ils gagnent une meilleure constitution que s'ils étaient restés dans le Bas Poitou ; leur émigration prévient la plupart du temps les attaques de la fluxion périodique, et l'on en fait ainsi des chevaux lourds qui conviennent aux travaux aratoires. Beaucoup de pouliches abandonnent aussi les marais dans leur première ou leur deuxième année, pour être transportées dans d'autres parties du Poitou. Les éleveurs de mulets, notamment ceux des Deux-Sèvres, préfèrent les pouliches qui ont une robe noire, une forte croupe, les membres gros et garnis de longs poils, et qui promettent beaucoup de développement. Les foires les plus renommées pour la vente des poulains et pou liches de race mulassière sont celles de Marans, de Nuaillé , de Surgères, de Rochefort, de Pont-l'Abbé, de Saujon, etc. Quoique les pouliches s'y trouvent souvent en nombre considérable, la production de ces femelles ne suffit pas aux besoins des éleveurs de mulets, qui sont forcés de se pourvoir de juments bretonnes ne valant pas, pour la mulasse, les juments poitevines.
Omer des Métairies a porté haut les couleurs poitevines à Paris.
Chevaux poitevins de diligence, d'artillerie et de cavalerie (1830)
Au-delà de la Loire, il devient rare de voir l'élevage du cheval de trait et du cheval de diligence conserver autant de développement qu'entre la Seine et la Loire. Une exception existe cependant bien frappante, et elle a déjà été signalée ; elle consiste dans la production de la race mulassière du Poitou. Mais on aurait une bien fausse idée de l'élève du cheval dans ce pays, si l'on supposait que le Poitou, et même seulement le Bas Poitou, ne se livre qu'à la production de la race mulassière. Des habitants qui peuvent faire autorité, entre autres M. Bujault, cultivateur près de Melle, déplorent sa rareté et son insuffisance pour la propagation du mulet, et son remplacement par une race plus légère, plus élégante, obtenue en grande partie par l'emploi d'étalons normands de la plaine de Caen, donnés par l'administration des Haras.
La race mulassière est, selon toute probabilité, celle qui est naturelle à la plupart des marais qui se trouvent près des bords de la mer, depuis Paimbœuf jusqu'à Blaye, c'est-à-dire depuis l'embouchure de la Loire jusqu'à celle de la Gironde. Une première cause, le dessèchement plus ou moins complet de ces marais, a dû influer sur la race qui s'élève à l'état de liberté. D'autres moyens ont eu aussi leur part d'influence. L'établissement des prairies artificielles a permis à des cultivateurs soit du Poitou, soit d'autres provinces, de retirer des marais un plus grand nombre de poulains, et de corriger, par l'emploi d'aliments plus nourrissants, l'influence de la nourriture aqueuse qui a contribué à la formation de la race poitevine. Les croisements l'ont modifiée. Les dépôts d'étalons de Saint-Maixent, (79), et de Saint-Jean-d'Angély (Charente-Inférieure), placés à la proximité de cantons abondants en juments poulinières, ont agi sur la race d'une manière d'autant plus sensible que des remontes de cavalerie ont été faites en grand nombre dans le Poitou, et que l'élevage du mulet a dû être gênée à plusieurs reprises par la perte de Saint-Domingue et d'autres circonstances politiques.
Les cultivateurs poitevins, sollicités de différentes manières, ont créé des chevaux pour beaucoup de services, sans établir de races bien distinctes. Des cultivateurs des parties centrales de la France et des nourrisseurs normands achètent les produits qui promettent de devenir propres au service des diligences, ou bien à celui du carrosse et de la grosse cavalerie, selon leur développement. C'est dans le département de la Charente, en gagnant le Limousin, qu'émigrent les poulains les plus légers, dont on fait des chevaux de cavalerie légère et de dragons. Les foires les plus renommées pour la recherche de ces poulains légers sont celles de Saint-Jean-d'Angély, de Matha, de Neuvicq, de Ballans, de Pons (Charente-Inférieure), et celles de Rouillac, de Jarnac, de Ruffec (Charente) tandis que plus au Nord, à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) et à Saint-Gervais (Vendée), l'on trouve en bien plus grand nombre les carrossiers et les chevaux de diligence.
La beauté et l'efficacité du poitevin attelé.
On reproche à ces chevaux de diligence d'être trop élevés sur jambes, de ne pas présenter la solidité et la résistance des bretons et des percherons, et d'avoir des pieds plats et faibles. On reproche aussi aux chevaux plus légers d'avoir une charpente osseuse trop développée et surtout une tête trop grosse et pesante; on leur reconnaît aussi des pieds plats. Et en général, cette largeur des pieds est le caractère le plus constant de tous les chevaux élevés dans les marais du Poitou. Sous beaucoup d'autres rapports, ils diffèrent considérablement entre eux, et ne peuvent constituer de races distinctes.
Présentation d'un trait poitevin à Villognon.
Stéphane Bernard est à la tête d'un Haras privé à Taizé-Aizie (16).
Les baudets du Poitou
Gros baudets du Poitou
Taille de 4 pieds 4 à 9 pouces, gros, étoffés, carrés, à soies ordinairement longues, frisées ou tombantes à la tête, aux oreilles, au cou, aux jambes, au ventre, enfin partout ; pelage noir uniforme sans raies (nez blanc, yeux blancs ou gris argenté, ventre et cuisses lavés chez quelques-uns), queue entièrement dénudée ou n'ayant du moins que quelques poils rares. Il se rencontre parmi eux, ainsi que nous l'avons dit, un petit nombre d'individus gris et gris sale avec ou sans bandes ; ils sont rares et estimés. Il s'en trouve encore quelques-uns fort estimés qui, à l'âge de trois à six mois, n'ont pas encore débourré ou perdu leur poil de lait. Ils ont tout le corps couvert d'une sorte de pelisse de poils enchevêtrés et collés en quelque sorte, qui tombent jusqu'à terre.
Un lien qui en dit beaucoup
Magnifique pelage pour ces baudets du Poitou.
Le mulet
On appelle mulet le produit de l'accouplement de l'âne avec la cavale, ou du cheval avec l'ânesse. Dans ce dernier cas cependant, l'animal produit prend plus particulièrement le nom de bardeau, tandis que dans le premier il conserve le nom commun de mulet.
Il est généralement reconnu que les mulets tiennent et participent plus de la mère que du père. Aussi le mulet ressemble-t-il davantage au cheval, est-il plus grand, plus vigoureux, surtout lorsqu'il provient d'une grande et forte jument, et le bardeau emprunte-t-il davantage de l'âne.
C'est un gentil animal mais il rend tous les coups qu'on lui donne.
Le mulet a l'avant-main, ou bout de devant, mieux fait, l'encolure plus forte, le poitrail plus ouvert, la côte plus relevée, le corsage plus arrondi, le train de derrière aussi plus élégant, le dos moins tranchant, les hanches moins sorties, le flanc moins grand, la croupe plus arrondie, plus bombée, tandis que le bardeau, au contraire, participant plus de l'âne, est mince d'encolure, a la tête grosse et pesante, le poitrail serré, les hanches et la colonne vertébrale saillantes, la côte plate ou basse, la croupe pointue et avalée.
Fête de l'eau : l'attelage de mules d'Edouard Lesvèque.
Traversée de la rivière Péruse à Londigny (16).
Le bardeau et la bardine
Le bardeau
Le bardeau (hinnus) ne diffère guerre du mulet proprement dit qu'en ce qu il est fils du cheval et de l'ânesse, tandis que le premier l'est de l'âne et de la cavale. Les métis tenant toujours plus de la mère que du père, il a par conséquent plus de ressemblance avec l'âne ; mais ce métis est assez rare, aussi ne saurions-nous donner que peu de documents sur lui. On le regarde généralement comme plus robuste et plus sobre encore que le mulet.
Peut-être, d'après cette réputation, devrait-on s'étonner de voir cet animal si peu propagé, tandis que le mulet est si commun ; mais cela doit s'attribuer, selon nous : 1° au moins d'ardeur pour la copulation chez le cheval que chez l'âne, et partant, au plus de difficulté à le faire accoupler avec une femelle d'une espèce différente de la sienne ; 2° au peu d'avantage qu'on aurait à faire saillir par le cheval les belles ânesses dont le produit en animaux de leur espèce est d'un prix bien plus élevé que celui des plus beaux mulets et bardeaux ; 3° à la difficulté et au danger de l'union d'un cheval de taille même moyenne avec une ânesse de petite taille, joint au peu de profit qu'on retirerait de cet accouplement qui, dans les cas assez rares où il aurait le résultat désiré, ne donnerait que des produits insignifiants, vu leur faiblesse et leur petite taille, puisque c'est de la mère que participe surtout le produit.
La bardine
Une bardine en Charente chez Claude Caillaud à Villognon
Bigoudi s'amuse comme une folle.
Commerce des mules et des mulets (1835)
Le Poitou et la Gascogne font un grand commerce de mules et de mulets, et il existe des foires très remarquables pour ce genre de trafic. Les plus considérable sont celles de Champdenier, Augé, Saint-Maixent, Niort, La Motte-Sainte-Heraye, Saint-Sauvent, Fontenay, Melle, Mauzé, Toussé, Chenoux, etc.
Les propriétaires de juments poulinières, à l'exception de quelques-uns particulièrement favorisés par la localité et pourvus de bâtiments suffisants et commodes, ne gardent leurs jeunes mules que jusqu'à l'âge de sept à dix mois, et les mènent aux différentes foires où ils les vendent dans les mois de décembre, janvier, février et mars. On les désigne alors dans le commerce sous le nom de jetonnes. Les garder plus longtemps avec leur mère serait exposer celle-ci à l'avortement, surtout quand ce sont des mulets, qui se jettent sans cesse sur elles ; les garder seules n'est pas facile. On évite de plus par là les dangers de la gourme, ainsi que ceux de la castration pour les mâles.
Quelques éleveurs, possédant une certaine quantité de landes de la nature de celles dont nous avons parlé plus haut, achètent de ces jeunes mules qu'ils font pacager toute l'année dans ces landes où elles vivent tant bien que mal, et ne les tiennent à l’étable que la nuit seulement. Ils ne les soignent et ne les nourrissent un peu mieux qu'au moment où ils veulent les vendre, ce qui a lieu de 24 à 30 mois, quelquefois avec un bénéfice assez considérable. On les appelle alors doublonnes.
Les autres sont achetées, soit par des revendeurs de la Gascogne, de l' Auvergne, de l’Espagne, du bas Limousin, du Languedoc, qui les emmènent et les vendent dans leur pays, soit par les fermiers qui les nourrissent et les soignent jusqu'à l'âge de deux à trois ans, époque où ils les emploient à tirer la charrue ou à tout autre usage. Ils les gardent ainsi tant qu'elles sont ce qu'on appelle mules de marque, ou jusqu'à l'âge de 5 ou 6 ans, temps où la vente est la plus avantageuse. Enfin les autres sont achetés, savoir : les plus beaux par les meuniers, les voituriers et les cultivateurs, et les médiocres par les muletiers qui ne peuvent y mettre de hauts prix.
Les mulets du Poitou, plus membrés, plus corsés, plus robustes, sont les plus estimés pour le trait et le bât, et sont exportés pour ce service en Languedoc, en Espagne et aux colonies, tandis que ceux de Gascogne, plus légers, plus minces, plus sveltes, et d'une allure plus douce, sont principalement recherchés par les méridionaux pour la selle, 1a litière et la voiture; mais, en général, ils se vendent à des prix bien moins élevés.
Comme celui de l'âne, le fumier du mulet est un fumier chaud, très propre aux terres froides et humides, granitiques et argileuses ; son cuir, sa corne, ses os, sa chair, toutes ses parties et ses issues enfin, sont employés dans les arts comme celles des chevaux et des ânes.
Dans le commerce, les mulets comme les chevaux diminuent beaucoup de valeur par la perte totale de leurs dents caduques ou dents de lait, et le rasement des dernières remplaçantes, parce qu'alors l'âge devient incertain pour beaucoup et que l'animal est susceptible de prêter davantage à la fraude de la part des maquignons, aussi vend-on les mules bien plus avantageusement un peu avant cette époque.
Champ de foire aux mules, Raix (16) 1905 : les animaux présentés un par un.
Ci-dessus, l'Hôtel d'Espagne, situé à Ruffec face à la gare, n'était pas une "auberge espagnole..." Cette auberge créée spécialement à la demande des Espagnols leur permettait d'être accueilli par des gens parlant leur langue.
Ces Espagnols étaient nombreux à venir à Ruffec et alentours pour acheter des mules et mulets sur les foires des environs, et plus tard dans les écuries directement.